Je vous propose de découvrir bien des pépites dans ce « Papiers à bulles »… Dont trois albums en compétition au prochain festival d’Angoulême : « Demain est un autre jour de merde » d’Olivier Texier, « Anaïs Nin sur la mer des mensonges » de Léonie Bischoff et « Allez-Hop ! » de William Gropper (La Table Ronde) ! Sont également nominés dans la sélection officielle quelques titres que je vous avais présentés à leur sortie : « Gousse et Gigot » d’Anne Simon (Misma), le troisième tome des « Voyages en Égypte et en Nubie de Giambatista Belzoni » de Lucie Castel, Nicole Augereau et Grégory Jarry (FLBLB), « Détective Kahn » de Min-Seok Ha (Misma), le premier tome de « Miss Charity » de Loïc Clément et Anne Montel (Rue de Sèvres) et « Le serment des lampions » de Ryan Andrew (Delcourt)… On leur souhaite à tous bonne chance ! Je soumets également à votre curiosité deux ouvrages où les femmes sont à l’honneur : « Balance ta bulle » (collectif) et le superbe « Femmes, et nos pensées au fil du temps » de Paulina Silva, de nouvelles et hilarantes aventures de Megg, Mogg et Owl du savoureusement déjanté Simon Hanselmann, l’intégrale des nostalgiques « Années Spoutnik » de Baru, la douce musique du « Piano oriental » de Zeina Abirached, « Des bombes et des hommes » d’Estelle Dumas, Julie Ricossé et Loïc Godart qui mettent en lumière l’importance de la culture en toutes circonstances (A bon entendeur…), l’espiègle « Passe-misère » de Pierre Maurel, du polar avec les « Shots entre amis à Cognac » (collectif), et les suites tant attendues de « La venin » de Laurent Astier et de « Un putain de salopard » de régis Loisel et Olivier Pont ! Bonnes lectures à toutes et à tous !
Au fil de ce recueil acide comme un citron vert, Olivier Texier prouve, même aux optimistes les plus effrénés, qu’aujourd’hui comme hier, demain sera bel et bien un autre jour de merde… Même s’il n’est « Jamais trottoir » pour faire chanter les lendemains ! Au cours d’un foisonnant bal des vanités, des petites lâchetés et des grandes hypocrisies où personne n’est épargné, il souligne avec un humour mordant et cruel les dérives de notre société, en traits rageurs d’un noir aussi sombre que l’âme humaine… Et fait mouche à chacun de ses strips, pas si « comics » où il nous renvoie en miroir l’absurdité de nos comportements ! En « Cat caz » et une centaines d’histoires courtes et explicites (sans nul doute les meilleures selon l’adage consacré !) Olivier Texier, sacré champion en 2007 par la « fédération internationale de catch de dessin à moustache« , nous donne la « liberté de panser » nos plaies… Et comme ce recueil a « Tatoo pour plaire », nul doute qu’il risque de rafler un prix au prochain festival d’Angoulême où il est présenté dans la compétition officielle… C’est du moins ce qu’on lui souhaite, car il le vaut bien !
Demain est un autre jour de merde d’Olivier Texier, Les Requins Marteaux, 2020 / 12€
Après nous avoir scotchés avec les péripéties de Megg et Mogg à Amsterdam (chronique ici !) et avoir souhaité un « Happy fucking birthday » à Owl, leur malheureux souffre-douleur (Fauve du prix de la série à Angoulême en 2018, chroniqué là!) qui finit par se faire la malle dans le glaçant « Winter trauma » (chroniqué ici !), Simon Hanselmann nous offre aujourd’hui un « Pot pas pourri » des aventures de nos losers préférés et de leurs incontournables potes avec ce recueil d’inédits jamais traduits en France ! En de « longues et courtes histoires », il y met en scène ses personnages déjantés, dépressifs, fainéants, obsédés et camés jusqu’à la moelle, qui à défaut d’être une fois encore au mieux de leur forme, sont toujours aussi inventifs pour cumuler les emmerdements ! Et c’est avec un plaisir jouissif que l’on retrouve le très ordonné et maso Owl, toujours aussi désespéré par le bordélisme envahissant de ses immuables colocataires Megg et Mogg, qui passent leur temps à végéter sur le canapé tout en testant de multiples paradis artificiels ! Quant aux satellites « Too much » qui gravitent autour de ces trois incontournables de la loose, impossible de résister à leur subtile attraction ! Werewolf encore plus obsédé (s’il est possible !) et flanqué de ses gosses mal élevés (on ne peut les en blâmer !), Mike, le magicien dealer qui joue les Tanguy chez sa môman, ou encore Booger, l’amie Trans folle amoureuse de Megg (qui n’est d’ailleurs pas insensible à ses charmes) vous feront mourir d’un rire parfois jaune ! Un album stupéfiant à bien des titres qui va vous en faire voir de toutes les couleurs !
Long story short de Simon Hanselmann, Misma, 2020 / 20€
Après « Deux manches et la belle » de Milt Gross (chroniqué ici !), les éditions de La Table Ronde rééditent « Allez-Hop ! » de William Gropper, un autre chef-d’œuvre (lui aussi publié en 1930) qui signe les débuts du roman graphique. Avec cette histoire muette portée uniquement par le dessin très « parlant » de Gropper, on se retrouve au coeur d’une histoire d’amour contrariée digne d’un scénario de Chaplin : celui d’une jeune acrobate qui se fait éblouir par les promesses de gloire et de fortune d’un chanteur d’opéra imbu de sa personne, sous le regard désolé de son partenaire, un grand costaud secrètement amoureux d’elle… Le chanteur et ses belles paroles séduiront la belle qui finira par l’épouser. Mais la vie de rêve espérée se révèlera toute autre : la princesse, deux enfants plus tard, se retrouvera dans la peau d’une Cendrillon fauchée et débordée… L’acrobate éconduit, jamais bien loin et » bon oncle » pour les enfants délaissés par un père toujours absent, finira par reconquérir son coeur… Gropper, avec un sens inné du mouvement et par les expressions et jeux de regard qu’il donne à ses personnages, insuffle une incroyable vie à cette fresque réaliste et sociale. Cette oeuvre rare et élégante, pur chef-d’œuvre de narration et de composition, est un des joyaux de la sélection officielle du prochain festival d’Angoulême : un prix couronnerait la carrière de cet artiste, caricaturiste satirique et libertaire mis sur la liste noire du maccarthysme, qui a fini par épouser une belle carrière de peintre…
Allez-Hop ! de William Gropper, La Table Ronde, 2020 / 26,50€
Années 50. La tension monte dans cette petite ville minière de Lorraine où s’engage un véritable combat des chefs, à coups de bagarres mémorables ou de matchs de foot pas très amicaux, entre les membres en culottes courtes du « clan d’en haut » et ceux du « Clan d’en-bas »… Pendant ce temps, les « grands » de cette cité communiste s’apprêtent à fêter dignement le lancement de Spoutnik, en recevant un dignitaire soviétique…. Voici en quelques mots le pitch de ces « Années Spoutnik » où Baru nous plonge avec tendresse et nostalgie dans un autre temps… Celui de la semaine des quatre jeudis, de l’école buissonnière et des mistrals gagnants, à une époque où les guerres bien innocentes se gagnaient à coups d’arcs et de flèches… Ou de boutons arrachés de haute lutte ! C’est avec une belle dose d’humour et de fraîcheur que Baru évoque cette enfance à la dure où les coups de martinets s’abattaient sans vergogne sur les fessiers des galopins adeptes de bêtises en tous genres, mais aussi cette enfance au goût de liberté où les mômes pouvaient s’ébattre dans une ambiance bon enfant et conviviale… Sur fond de guerre d’Algérie et de conflits sociaux, il nous offre la formidable photographie d’une enfance au coeur du monde ouvrier, populaire et cosmopolite de cette époque comme Doisneau, Truffaut ou Pergaud l’ont illustré en leur temps sous d’autres formes. Son dessin gai et coloré, au trait aussi vif que les titis lorrains qu’il met en scène, ainsi que les dialogues au vocabulaire approximatif et truculent qu’il leur prête, tout contribue à nous plonger avec délices dans un voyage dans le temps avec cet hymne à la tolérance et au vivre ensemble, sincère et doté d’une belle humanité !
Les années Spoutnik (intégrale) par Baru, Casterman, 2020 / 25€
Pas de bol pour Georges… Sur la route après avoir remporté un contrat juteux, ce malheureux commercial tombe en panne au milieu de nulle part : sa vieille « Bertille » vient de le lâcher et le voilà coincé pour trois longs jours dans la bourgade désertique de Chamouniers, au fin fond de la Dordogne… Sympa, le garagiste lui propose de l’héberger en attendant que sa guimbarde soit remise en état. Et voilà notre Georges échoué dans l’appartement désaffecté et triste à mourir d’une HLM en fin de parcours… Rien d’autre à faire que de se balader le nez au vent pour passer le temps ! Vécu au préalable comme un pensum, cet impromptu temps libre volé sur le quotidien bien calibré de Georges va se révéler être un délicieux moment dépaysant, riche en rencontres atypiques et savoureuses avec les gens du « cru »… Touchante et tendrement drôle, cette BD, fruit de la résidence d’artiste de Pierre Maurel avec la compagnie « Ouïe-Dire« , est inspirée du scénario du « Passe Montagne » de Jean-François Stévenin. Elle nous offre la délectable et espiègle échappée belle d’un citadin chez les « ploucs » qui vont, à leur façon, lui offrir une belle leçon de vie et de solidarité, et envoyer aux orties tous ses préjugés sur ces « imbéciles qui sont nés quelque part »… Cette parenthèse enchantée, réalisée d’un trait semi-réaliste et tendrement coloré, qui nous invite avec une belle générosité à regarder de l’autre côté de la lorgnette, nous apporte la certitude que, décidément, le bonheur est dans le pré (même si celui-ci se trouve non loin d’une polluante usine chimique !) ! Un vrai régal !!!
Passe misère de Pierre Maurel, Les Requins Marteaux, 2020 / 16€
Beyrouth, années 60. Abdallah, jeune pianiste libanais, part à Vienne en compagnie de son meilleur ami afin de présenter à un prestigieux facteur d’orgues sa géniale invention, le piano oriental. Grâce à un habile ajustement réalisé par son inventif et passionné créateur, celui-ci permet de jouer 1/4 de temps en dessous par rapport au piano classique européen, lui apportant ainsi une couleur arabisante. Abdallah est particulièrement surexcité de réaliser ce rêve fou qui lui a donné tant de travail durant des années ! Hélas, le piano de ce visionnaire ne sera pas reconnu à sa juste valeur et restera à jamais un unique exemplaire… Bien des années plus tard, l’arrière petite fille d’Abdallah fera elle aussi un long voyage. Mais cette fois vers la France, qui deviendra son pays de coeur et d’adoption… Entre Orient et Europe et sur fond d’histoire familiale, Zeina Abirached tisse avec élégance un pont entre ces deux cultures dans ce roman graphique émouvant et attachant en forme de partition musicale entre le son inédit de ce piano et la musique mêlée des langues. Avec son dessin réalisé dans un somptueux noir et blanc mêlé de fils d’or, elle nous invite dans son univers fait d’arabesques et de jeux de formes géométriques, dans un découpage audacieux et un style « Arts appliqués » d’une fascinante beauté, où images et mots se télescopent pour souligner l’attachement de son auteure pour la richesse de ses deux cultures, complémentaires et essentielles à son équilibre. Une double chronique tendre et nostalgique, séduisante en diable par sa subtilité et sa modernité !
Le piano oriental de Zeina Abirached, Casterman, 2020 / 25€
Sarajevo, 1995. La guerre fratricide entre Serbes et Bosniaques fait rage : tirs d’obus meurtriers, snipers embusqués… La mort rôde à chaque coin de rue. C’est dans ce contexte particulièrement difficile que débarque Isabelle, une jeune française de 25 ans qui, après une douloureuse rupture amoureuse, a décidé de rejoindre l’ONG Équinoxe pour y effectuer une mission humanitaire. Son chef, qui ne lui donne pas quinze jours avant de craquer et de prendre ses cliques et ses claques, l’envoie directement sur le terrain pour distribuer des colis alimentaires à Gorazdze, une enclave où 300 000 bosniaques sont assiégés depuis trois ans par l’armée serbe. Arrivée sur place non sans encombres, Isabelle découvre une population meurtrie et oubliée du monde : si ces pauvres gens ont un besoin urgent et vital de nourriture, ils ressentent aussi cruellement le manque de culture et de distractions, devenues superflues en temps de guerre… En lui faisant visiter leur cinéma détruit par les bombes, un petit groupe lui fait part de leur profond désir à tous de s’évader de leur triste et terrible quotidien par la magie du septième art. Isabelle, en se se débattant comme un beau diable, va alors tout mettre en oeuvre pour leur faire cadeau de ce plaisir « non essentiel » en leur dénichant des copies de films… Ce récit qui nous dévoile l’expérience réellement vécue sur le terrain par Estelle Dumas, nous offre une vision juste et précise de ce terrible conflit qui a secoué l’ex Yougoslavie, tout en mettant en lumière la place essentielle de la culture au coeur des besoins fondamentaux de l’être humain. Au fil de ce scénario sensible et poignant, servi par de sublimes illustrations « sépia » en aquarelle, tous les talents se sont conjugués pour laisser au lecteur toute place à une large palette d’émotions et de questionnements… Vous trouverez, à la toute fin de cet ouvrage empreint d’une belle et touchante humanité, quelques repères historiques illustrés de quelques photographies de Georgi Lazarevski afin de mieux comprendre et ne pas oublier l’horreur de ce conflit…
Des bombes et des hommes d’Estelle Dumas, Julie Ricossé et Loïc Godart, Futuropolis, 2020 / 21€
Publié à l’occasion des 25 ans du festival du polar de Cognac, ce recueil de quinze courts récits a été réalisé par une trentaine d’auteur(e)s, dont certains ont été nommés ou primés au fil de ses différentes éditions. Préfacé par Olivier Marchal qui nous offre un bouquet d’anecdotes savoureuses glanées lors de son passage au festival en 2000, et suivi d’une passionnante introduction de Bernard Bec, son organisateur qui nous en relate l’historique (illustré d’une superbe sélection d’affiches !), cet ouvrage met en lumière la grande richesse de ce « mauvais genre » par sa grande diversité, aussi bien graphique que scénaristique. A travers les époques (médiéval, contemporain, futuriste…), ces quinze « one shots » nous embarquent au coeur de crimes passionnels ou crapuleux dans des graphismes qui se déclinent en de nombreux styles pour nous dévoiler un florilège d’histoires inédites tour à tour biscornues, glaçantes, cruelles ou teintées d’humour noir. Tous les bénéfices de cet album collectif et solidaire seront reversés à l’association du festival pour le soutenir en ces temps troublés : un effort fourni par les « Humanoïdes Associés » qui l’ont édité mais aussi par la plupart des auteur(e)s qui ont offert leurs droits d’auteurs (Jeanne Puchol, Carol Porche, Catherine Moreau, Jean-David Morvan, Didier Daeninckx, Alain Paillou, Frédéric Brrémaud, Antonio Segura, Olivier Jolivet, Borris, Thierry Lamy, Pierre Taranzano, Philippe Hauret, Séra, Jean-François Miniac, Rémy Roubakha, André Le Bras, Éric Liberge, Mako, Raule, David Charrier, Luc Brahy, Éric Le Pape, Sébastien Corbet, David Morancho, Moutch, Facundo Percio, Algésiras, Servain). Une belle initiative qui va vous apporter une dose salutaire de noir bien serré tout en vous permettant de participer à l’effort de guerre pour que perdure la formidable aventure de ce festival qui, comme tant d’autres, se retrouve cette année dans l’incertitude concernant sa future existence…
Polar : shots entre amis à Cognac, Les Humanoïdes associés, 2020 / 18€
Tout d’abord, je vous propose un petit résumé du premier épisode (vous pouvez également consulter ma chronique ici) ! Brésil, années 70. Max revient sur le lieu de son enfance, à la recherche de son père qu’il n’a pas connu, avec pour seuls indices deux photographies léguées par sa mère disparue, où il apparaît en compagnie de deux hommes, sans qu’il sache lequel des deux est son géniteur… A son arrivée, il fait la connaissance de Christelle et Charlotte, un couple d’infirmières venues faire un remplacement au dispensaire local, et de leur amie Corinne, une jeune femme libérée qui n’a pas froid aux yeux (ni ailleurs, du reste !), qui le met aussitôt en relation avec des gens qui auraient pu côtoyer son père. Max découvre que ces deux hommes, surnommés « Mermoz » et « le comptable », ont tous deux la sinistre réputation d’être des « putains de salopards » et qu’il doit absolument rencontrer le chef du chantier du coin qui devrait l’aider à y voir plus clair dans sa quête d’identité… Il part donc en stop à bord du camion de Carlos, en compagnie de Maïa, une jeune fille muette. Mais tous trois tombent dans une embuscade avec les proxénètes du camp minier qui viennent de tirer sur une jeune femme qui tentait de leur échapper… Carlos est tué et Max et Baïa se voient contraints de prendre la fuite à travers la jungle, les tueurs sans scrupules accrochés à leurs basques… C’est dans cette situation inconfortable que nous les retrouvons dans ce deuxième opus où Maïa tient le rôle d’une infirmière attentionnée pour un pauvre Max mal en point qui a gardé un souvenir brûlant de sa brève mais torride liaison avec Corinne : en ange gardien exemplaire, elle le soigne, le nourrit et le protège contre tous les dangers, grâce à sa parfaite connaissance de la jungle. Traversée par des visions chamaniques où une petite fille, dans un halo bleuté, semble vouloir la guider, Maïa découvre en la suivant l’épave d’un avion où git le squelette d’un enfant, bâillonné et ligoté… Le corps de la fillette du patron de la mine, kidnappée quelques années auparavant ? De leur côté, Christelle et Charlotte ne sont pas mieux loties : après avoir recueilli la jeune femme blessée et avoir tué un de ses agresseurs, elles se réfugient avec leur protégée chez Corinne. Rego, un vieux flic sur le retour, ami de Margarida la patronne dure à cuire de Corinne, va tenter de leur venir en aide… Avec un remarquable sens du suspense, « O Maneta » nous apporte des débuts de réponses sur les questions soulevées dans « Isabel » et nous tient en haleine de la première à la dernière case grâce au scénario remarquablement orchestré par Régis Loisel qui nous offre, à travers cette double traque et entre deux flash-back, un formidable condensé d’aventures haletantes, d’humour délicat et d’intrigues palpitantes, teinté d’une touche de fantastique ! Quant aux illustrations, toujours aussi superbes et foisonnantes sous le trait fluide et efficace d’Olivier Pont (parfaitement mises en valeur par la palette des couleurs de François Lapierre !), elle habillent à la perfection ce deuxième opus fort réussi où les femmes sont en première ligne face aux affreux, sales et méchants qui font régner leurs propres lois, et éclipsent le faible et souffreteux Max par leur force, leur courage, leur générosité et leur intrépidité ! On attend la suite avec impatience !
Un putain de salopard : O Maneta (tome 2) par Régis Loisel, Olivier Pont et François Lapierre, Rue de Sèvres, 2020 / 19€
Inspiré par le mouvement « #Me Too » qui a permis à beaucoup de femmes de s’exprimer en toute liberté, cet ouvrage collectif et militant regroupe une soixantaine de courts récits réalisés par une soixantaine d’auteures qui viennent apporter leur témoignage sur le harcèlement et les violences sexuelles qu’elles ont dû affronter jusqu’ici dans le silence. Célèbres ou moins connues, de toutes nationalités et d’orientations sexuelles différentes, ces « Passeuses de vérité », victimes de viol, d’inceste ou de harcèlement, ont courageusement pris la plume et le pinceau pour dénoncer ce phénomène systémique et insidieux, véritable fléau qui frappe les femmes partout et bien plus qu’on ne le pense, dans le but affirmé d’infléchir les comportements et les mentalités. Chacune d’entre elles a ainsi pu exorciser ses démons sous des formes graphiques variées (noir et blanc ou foisonnant de couleurs, hyper réalistes, poétiques ou métaphoriques, et même parfois teinté d’un humour libérateur…) pour faire entendre leur voix et celle de leurs sœurs, en autant d’œuvres d’art terriblement poignantes qui touchent droit au coeur… C’est à Diane Noomin (figure féministe et pionnière de la BD underground aux USA), que l’on doit la découverte de ce recueil, initialement paru aux States et désormais édité en France par les éditions Massot. Espérons qu’il sera le vecteur d’une véritable prise de conscience sur la légitime cause des femmes, encore et toujours bafouée… Pour que plus jamais ne soit banalisée la barbarie qu’elles subissent sous l’emprise de prédateurs sans conscience, et trop souvent dans une totale impunité… Un ouvrage nécessaire à mettre entre toutes les mains.
Balance ta bulle (collectif), Massot, 2020 / 28€
Bande dessinée, ouvrage d’art, recueil de poésie… Ce somptueux album qui nous immerge avec une sensibilité à fleur de peau au coeur de la vie intime d’une femme, de sa naissance à l’approche de sa mort, est un peu tout ça à la fois… Enfance, plénitude, déclin de la vieillesse… Les émotions qu’elle traverse aux différents âges de son existence défilent ainsi au fil des pages, tel un miroir tendu devant les nôtres, en fabuleuses illustrations dignes d’œuvres d’art et en mots simples et poétiques qui épousent comme une seconde peau les tableaux qu’ils illustrent… Cette douce et nostalgique partition sur le temps qui passe, grâce à l’incroyable pouvoir d’évocation qui se dégage de la musique de ses mots délicats et de la force de ses images, est un enchantement qu’on ne se lasse pas de contempler… Et de méditer. Un gros coup de coeur !
Femmes : et nos pensées au fil du temps de Paulina Silva et Véronique Massenot, La Boîte à Bulles, 2020 / 20€
En ce début des années 30, Anaïs vit en banlieue parisienne avec Hugo, son banquier de mari, un homme tendre et aimant pour qui elle éprouve une réelle tendresse. Mais les élans du coeur ne sont pas au diapason de ceux du corps… Et celui d’Anaïs n’exulte que rarement, et bien loin des vertiges qu’elle espérait… Pour lutter contre l’ennui de ce milieu bourgeois où elle ne se sent pas à sa place, elle s’inscrit à un cours de danse espagnole où elle évacue avec grâce bon nombre de ses inhibitions. Et surtout, elle noircit les pages de son journal intime à qui elle confie ses espoirs, ses fantasmes et ses frustrations… Sa rencontre avec Henry Miller changera sa vie : à ses côtés, l’introvertie « Anis » s’épanouira comme une fleur grâce à leur complicité littéraire qui lui donnera la force et l’envie de s’affirmer en tant que femme de lettres, mais éveillera aussi sa bouillonnante sensualité lorsqu’ils deviendront amants… Une première relation complexe, suivie de bien d’autres, qui la révèlera à elle-même mais qui la fera aussi naviguer sur une mer de mensonges… Au fil de ce somptueux ouvrage, Léonie Bischoff nous offre la biographie intime de cette femme libre et libertine que fut Anaïs Nin, qu’elle dessine en mots et en images d’une rare poésie. Par la magie de sa narration et l’originalité de son graphisme, réalisé aux crayons de couleurs multicolores dans un style réaliste ou onirique de toute beauté, elle nous invite au coeur des méandres tourmentés de l’âme d’Anaïs, qu’elle retranscrit en vagues déferlantes ou mêlés de végétation luxuriante, nous dévoilant la double personnalité d’Anaïs, sage ou fantasque sous les traits d’une gorgone échevelée, avec un incroyable sens du mouvement qui donne à l’ensemble un irrésistible élan de vie. Une oeuvre ambitieuse, délicieusement amorale et érotique, d’une esthétique irréprochable… Une vraie splendeur !
Anaïs Nin sur la mer des mensonges de Léonie Bischoff, Casterman, 2020 / 23,50€
Après avoir buté le gouverneur McGrady dans « Déluge de feu » (chroniqué ici !) et occis le révérend Coyle dans « Lame de fond » (chroniqué là !), Emily poursuit son implacable vengeance dans ce troisième opus, cette fois à Oil Town dans l’Ohio, où Drake, patron du pétrole local est le suivant sur sa liste noire. Toujours pourchassée par les détectives de l’agence Pinkerton, mais protégée de loin par son Ange gardien d’indien toujours dans son sillage, notre solitaire justicière au grand coeur est désormais accompagnée de Claire, une petite orpheline qu’elle a sauvé des griffes de l’horrible révérend, et de Susan, une esclave affranchie dont le mari a été assassiné par le Ku Klux Klan. Toutes trois arrivent à Oil Town où Emily, sous le nom de Mary McCartney, doit prendre la fonction d’institutrice. Mais si Drake est dans son collimateur, il l’est aussi dans celui de la population : après la chute d’un derrick qui causa la mort d’un des ouvriers, la colère gronde dans la petite ville… Une double raison pour Emily d’armer son bras vengeur et de rayer de la surface de la terre cet odieux et tyrannique Drake… Rythme soutenu et rebondissements à gogo dans ce troisième tome remarquablement bien construit où notre attention ne faiblit pas, bien au contraire ! Si « La Venin » poursuit son insatiable quête de vengeance, Laurent Astier, quant à lui, continue à nous passionner avec cette série en forme de western social et historique où il dresse un portrait sans complaisance de l’Amérique du début du XXème siècle. Sous un dessin soigné, tant sur les expressions que sur les décors, Il dépeint avec force le contexte de l’époque (cause indienne, racisme et méfaits des intégristes du Ku Klux Klan, misère sociale…), tout en maintenant le suspense jusqu’à une chute… Fort inattendue ! Comme dans les deux précédents opus, vous trouverez en fin de volume, les « carnets d’Emily » avec des documents et des photos d’époque. Cinq coupables, cinq états… Et cinq tomes ! Il ne nous reste désormais qu’à patienter pour découvrir « Ciel d’éther », une suite… très attendue !
La Venin : Entrailles (tome 3) de Laurent Astier, Rue de Sèvres, 2020 / 19€
Christine Le Garrec