Papiers à bulles ! N°47

Le totalement décalé et furieusement drôle « Mode d’emploi de la testostérone » d’Albert Monteys, la grinçante comédie humaine d’Anna Haifisch, brillamment déclinée sous les traits et caractères d’animaux qui nous ressemblent, Les « contes drolatiques » de Balzac somptueusement adaptés par les talentueux frères Brizzi, la savoureuse uchronie pilotée par Mitch et Sylvain Bauduret qui mettent en scène Voltaire et Newton dans un improbable voyage dans l’espace, les belles ou dramatiques histoires d’amour nées sous le soleil de l’Italie, contées et illustrées avec autant de force que de sensibilité par Zidrou et David Merveille… On continue avec trois magnifiques BD en partie autobiographiques : la première nous immerge avec un réalisme teinté d’humour dans l’envers du décor d’un spectacle vivant, la seconde nous dévoile avec émotion l’aventure humaine d’une adoption aussi compliquée que réussie, et la troisième, bouleversante de la première à la dernière page, le quotidien d’une famille devant faire face au lourd handicap d’un enfant… Pour terminer, je vous propose de découvrir la toute dernière fable sociale et politique de Rabaté qui jette avec jubilation ses galets dans la mare bien pensante du début des années 60, la glaçante histoire d’un jeune homme trop ambitieux signée par Vincent Zabus et habillée des somptueuses illustrations de Thomas Campi, le quatrième tome de la série RIP de Gaet’s et Monier qui vous donnera des sueurs froides avec une efficacité qui ne se dément pas, et le superbe « western » muet de Thierry Martin qui ne manque pas de souffle ! Bonnes lectures à toutes et à tous !

Messieurs, le monde moderne a fait de vous des « lopettes » ? Il est temps de réagir pour retrouver et affirmer votre virilité perdue ! Comment ? En suivant les instructions du Sergent qui, étape après étape, fera de vous un homme, un vrai ! Préparez-vous à un entraînement intensif, car y a du boulot… Mais vous remercierez le sergent quand vous pourrez enfin rouler des mécaniques comme un gros dur ! Au fil des pages de cet hilarant « Mode d’emploi de la testostérone », Albert Monteys nous offre un florilège de clichés et d’idées reçues sur la masculinité, décliné sous la forme de multiples scénettes dont les situations absurdes vous feront mourir de rire ! Obtenir une cicatrice (la plus noble façon ? Tuer un ours !), chasser (pas besoin ensuite de savoir cuisiner, faire un feu suffit amplement !), développer les innombrables capacités de son pénis, éviter le médecin (ces agents émasculateurs), construire des trucs (et surtout ne jamais, jamais les terminer !), déclencher une guerre ou s’engager dans l’armée pour participer à un conflit en cours (important : il vous faudra absolument perdre quelque chose : des amis, une partie de votre corps, votre innocence, votre raison, ou au moins votre montre) en sont quelques exemples des plus savoureux… Un manuel irrésistible de drôlerie pour tous les férus de second degré !

Être un homme, comment et pourquoi : mode d’emploi de la testostérone par Albert Monteys, FLBLB, 2021 / 7,50€

A travers les comportements de bestioles qui n’ont rien à envier aux hommes par leur cupidité et leur soif de pouvoir, mais qui leur ressemblent aussi par leurs fragilités, Anna Haifisch dessine une parodie aussi cruelle que réaliste de la comédie humaine, en cinq histoires courtes où son dessin explicite prend une large place sur le texte. Avec un humour grinçant, elle nous dévoile les travers des puissants de ce monde qui rivalisent de cupidité ou d’un égocentrisme dévastateur avec « Le salon des approuvés« , où elle met en scène l’impitoyable monde de l’art, personnifié par un artiste en vogue qui a le pouvoir de vie ou de mort envers ceux qui mendient son approbation artistique (un thème récurrent qu’elle avait joliment abordé avec les deux tomes de « The artist », chroniqués ici et ), et met en lumière le mépris et la morgue des politiques avec « Le verre à souris« , où elle relate un glaçant sommet des « animaux unis » où ceux-ci sont plus préoccupés du faste et du luxe dont ils bénéficient que de la bonne marche du monde… Les trois dernières histoires (« Une belle course » où un émeu, bien que coureur émérite, est soumis comme tout être vivant à la loi immuable de sa disparition programmée, « Fuji-San » où un artiste solitaire cultive le don de soi en faisant preuve de solidarité avec les plus faibles, et « Lettre à une belette » où une belette déprimée est en proie au doute et au désespoir dans un monde où elle ne trouve pas sa place) apportent quant à elles une touche d’humanité et de poésie dans ce monde de brutes, en révélant avec tendresse nos peurs, nos doutes mais aussi nos facultés à nous émouvoir et à faire preuve d’empathie. Ce bestiaire, tour à tour touchant ou désespérant, reflète à merveille notre société du « chacun pour soi », illuminé par quelques fulgurances d’humanité… Par la grâce émouvante de son trait sensible habillé de larges aplats de couleurs flashy qui nous éblouissent par leur force et leur beauté, Anna Haifisch nous offre avec « Schappi » une mise en boîte fort réussie de l’âme humaine !!!

Schappi par Anna Haifisch, Misma, 2021 / 18€

Après avoir adapté Boris Vian et Louis-Ferdinand Céline (« L’automne à Pékin« , « L’écume des jours » (chroniqué ici !) et « La cavale du Dr Destouches« ), les talentueux frères Brizzi réinventent aujourd’hui quatre contes soigneusement sélectionnés dans le recueil « Les Cent contes drolatiques » de Balzac. Ces contes, qui ont fait scandale à leur parution en 1832 pour la critique acerbe de la bourgeoisie et du clergé exercée avec délices par l’auteur de « La comédie humaine », portent décidément bien leur nom, car ils sont irrésistibles de drôlerie… Et désormais magnifiquement remis au goût du jour grâce à la traduction exemplaire (les contes originaux ont été rédigés par Balzac en vieux français, en hommage à Rabelais) et au trait chaleureusement expressif des frères Brizzi qui en exhument la substantifique saveur avec un art consommé ! Chaque histoire est malicieusement introduite par un Balzac truculent et tonitruant, qui nous présente son conte en cours d’écriture (malin !)… Et chacune d’entre elles, mettant en scène des hommes d’église libidineux ou des comtesses volages, est un pur délice de finesse et d’humour grivois ! Dans le premier conte (« La belle Imperia »), le vœu de chasteté d’un jeune moine est durement mis à l’épreuve face aux charmes d’une superbe femme dont les appétissants attraits ont d’ores et déjà été amplement goûtés par un évêque sans foi ni loi… Dans le second conte (« Le péché véniel »), une belle jeune femme souffre de ne pouvoir enfanter, son vieux mari ventripotent étant incapable de remplir son devoir conjugal. Vierge et désespérée, elle songe bien à tromper son mari pour enfin connaître les joies de la maternité, mais selon son confesseur, elle commettrait un péché mortel… Sauf si elle ne prend aucun plaisir dans l’acte charnel ! Dans « L’héritier du diable« , deux frères sont prêts à tout pour enfin toucher l’héritage de leur vieux père qui atteint l’âge canonique de 90 ans… Une longévité démoniaque ! Tous deux complotent donc pour accélérer son trépas, installent chez lui leur cousin Quichon pour l’espionner, et fomentent des plans pour l’assassiner… Mais Quichon veille au bien-être du presque centenaire… Et se révèlera bien moins « quiche » qu’il n’en n’a l’air ! Adultère enfin au menu de « La connétable » où un mari jaloux à juste titre, cherche à éliminer l’amant de sa femme. Pour le sauver, celle-ci n’aura d’autre choix que de faire porter les soupçons du cocu sur un autre galant… Autant pour l’intelligence et la vivacité de ses textes que pour la beauté des illustrations qui sont un véritable enchantement, ces « contes drolatiques » méritent toute votre attention !

Les contes drolatiques (d’après Honoré de Balzac) par Paul & Gaëtan Brizzi, Futuropolis, 2021 / 21€

Le rêve de Voltaire ? Rencontrer Newton ! Et grâce à Miss Burton, nièce du célèbre scientifique, son rêve est enfin réalisé ! Le voilà dans la demeure de celui qu’il admire tant, pour une entrevue encore plus précieuse et inespérée puisque Newton est bien mal en point et que ses jours semblent comptés… Après une passionnante discussion à bâtons rompus sur l’existence de Dieu, les mystères de l’univers ou les fondements souhaitables pour une société plus juste et égalitaire, Newton propose à son invité de lui dévoiler sa toute dernière invention : le FORSLO, une extraordinaire machine à explorer l’espace… Ébahi, Voltaire contemple l’étrange machine en écoutant les savantes explications de son hôte lorsque Miss Burton surgit pour tenter de raisonner son oncle à prendre du repos. Perturbé par l’intervention inopinée de sa nièce, Newton met involontairement sa machine en route… Les voilà donc tous les trois en route vers les étoiles ? Que Nenni ! Newton, abasourdi, n’a pas bougé d’un poil… Miss Burton se retrouve catapultée dans une étrange société où les femmes ont tous les pouvoirs… Et Voltaire au coeur d’une jungle où le peuple est gouverné par un roi philosophe, élu après avoir remporté des joutes verbales… Des décors foisonnants de détails, des personnages anthropomorphiques particulièrement expressifs, un scénario rocambolesque qui oscille entre conte philosophique et récit fantastique : cette uchronie qui met brillamment en scène deux des esprits les plus brillants de leur siècle, est totalement addictive ! Il nous faudra désormais patienter pour découvrir la suite des aventures de Voltaire et Newton… « Pangloss-Tula » étant le premier tome d’une trilogie annoncée !

Voltaire et Newton : Pangloss-Tula (tome 1) par Mitch et Sylvain Bauduret, Delcourt, 2021 / 14,95€

Neuf histoires d’amour au pays de la « Dolce vita » : des amours qui traversent le temps en conservant intacte la passion, des amours rêvées ou inassouvies, des amours trahies, tragiques jusqu’à l’irréparable… Sous le trait sensible de David Merveille, sublimé de couleurs s’adaptant comme une seconde peau à chaque récit, Zidrou dessine une carte cruelle et tendre des sentiments amoureux au fil de ces neuf nouvelles, émouvantes ou dérangeantes, qu’il nimbe d’humour et de poésie. En tranches de vies croquées en quelques mots, il dévoile avec justesse l’intensité de ce sentiment qui peut nous élever au plus haut lorsqu’il est partagé, et nous conduire en enfer lorsqu’il s’enfuit ou qu’il nous est imposé de force. On croise ainsi, dans un registre tendre ou malicieux, un auteur de romans sentimentaux qui chaque jour cherche l’inspiration à la terrasse d’un café, un gondolier qui ne supporte plus de transporter des amoureux à longueur de journée depuis que sa femme l’a quitté, un fils malheureux en amour qui se remémore avec nostalgie l’amour fou qui unissait ses parents, un vieil homme qui remercie son épouse décédée pour tous les immenses bonheurs qu’elle lui a offert, et une femme qui après avoir trompé son mari, lui propose d’avoir à son tour une aventure pour se venger… Le ton se fait dramatique lorsque sont évoqués le terrible destin d’une vieille fille qui n’a connu de l’amour que la violence d’un viol, celui d’une femme volage abattue par son amant jaloux, ou celui d’une épouse qui découvre que son mari, aimant père de famille, la trompe avec d’autres hommes… En explorant les innombrables facettes de la passion, Zidrou et David Merveille nous offrent une intense palette d’émotions qui nous touchent droit au coeur… Pour le meilleur et pour le pire !

Amore par Zidrou et David Merveille, Delcourt, 2021 / 20€

Clap de fin pour le dernier spectacle de la compagnie « Tour de Cirk » qui a connu un franc succès… Et Mathilde, Farid, Saïlen, Ben et Mireille doivent déjà commencer à cogiter pour préparer le suivant ! De longs mois de répétitions et de réflexions pour se réinventer les attendent… Tout en gérant les tracasseries administratives, les attentes de subventions, leurs vies de famille… Et les égos des uns et des autres ! Marion Achard, avec ce récit en partie autobiographique, nous immerge dans les coulisses de la création d’une compagnie circassienne, en nous dévoilant avec autant de sincérité que d’humour le quotidien d’une bande de saltimbanques passionnés et bosseurs qui, même s’ils vivent des moments forts et exaltants, se débattent comme ils peuvent face au stress, coups de mou, angoisses et autres coups du sort… Servies par un dessin réaliste et expressif aux couleurs chatoyantes, ces « chroniques d’un spectacle vivant », nous apportent un autre regard sur la vie d’artiste, pas seulement faite de paillettes et d’applaudissements, mais aussi de sueur et de travail acharné pour nous offrir notre part de rêve… Et démontrent, si besoin était, à quel point ces artistes sont essentiels pour apporter de la magie à nos vies !

Le zizi de l’ange : chroniques d’un spectacle vivant par Marion Achard et Miguel Francisco, Delcourt, 2021 / 18,95€

Ne pouvant avoir d’enfant, Andrea et Daniela décident d’adopter. Mais une longue procédure administrative, qui durera six ans, mettra leurs nerfs à dure épreuve avant qu’ils puissent enfin aller chercher la petite Sarvari dans un orphelinat de Bombay… Durant cette période interminable, ils seront en proie aux doutes et au découragement, mais toujours portés par l’espoir de voir aboutir le plus beau projet de leur vie. Quand le moment tant attendu arrive enfin, ils ne sont pas encore au bout de leur peine : Sarvari, qui souffre de l’éloignement avec ceux qui l’ont élevée et choyée depuis son arrivée dans l’orphelinat, ne fait que pleurer. Et les mots réconfortants d’Andrea et de Daniela ne sont pour elle que « le bourdonnement d’un moustique »… Comment apprivoiser la petite fille sans pouvoir communiquer par le langage ? En lui donnant tout leur amour et en faisant preuve d’une infinie patience, Daniela et Andrea, finiront par amadouer cette petite fille déracinée qui finira par les accepter et les aimer… Cet émouvant récit autobiographique dévoile avec autant d’humour que de tendresse les difficultés mais aussi les grands bonheurs de l’adoption, par la mise en lumière des émotions ressenties par chacun des protagonistes : Un témoignage tout en pudeur et délicatesse…

Le bourdonnement d’un moustique par Andrea Ferraris, Delcourt, 2021 / 18,95€

Comme tous les ans, Juliette se rend en pèlerinage dans le quartier de son enfance, et découvre que cette année, la maison où elle a grandi est mise en vente… Comme les visites sont libres, elle en franchit le seuil, submergée par un flot d’émotions : rien ne semble avoir changé et les souvenirs l’assaillent de toutes parts… ses jeux insouciants, les moments heureux partagés en famille, et surtout l’arrivée au monde de son petit frère Tom, surnommé « Major Tom » en hommage à Bowie, son « petit cosmonaute », son Petit Prince descendu des étoiles, lourdement handicapé par une paralysie cérébrale l’empêchant de parler et de marcher, mais débordant de joie de vivre… Tout lui revient en mémoire, les difficultés pour communiquer avec ce petit bonhomme pas comme les autres, les peurs et les angoisses, mais surtout les moments de pur bonheur que Tom lui a offerts, de son sourire confiant et de ses yeux rieurs… C’est sous le regard de cette grande soeur aimante que Jean-Paul Eid a choisi de mettre en lumière les joies et les bonheurs d’une « famille ordinaire avec un enfant extraordinaire » malgré les nombreuses difficultés auxquelles ils ont dû faire face sous le regard blessant des gens « normaux ». Ce récit, émouvant sans jamais être larmoyant, servi par des illustrations délicates et pleines de vie, ne peut que toucher en plein coeur par sa sensibilité, sa profonde humanité et son humour : une formidable leçon de vie et de tolérance qui balaie à coup d’amour toutes les idées reçues sur le handicap ! Gros coup de coeur !

Le petit astronaute par Jean-Paul Eid, La Pastèque, 2021 / 26€

Septembre 1963. Les résidences secondaires se ferment les unes derrière les autres dans une petite station balnéaire bretonne. Seuls, Albert, Francis et Edouard profitent des derniers rayons du soleil en attendant leur rentrée dans des écoles prestigieuses où ces trois fils de « bonne famille » effectueront des études leur promettant, comme leurs pères avant eux, un avenir tout tracé. Et les trois jeunes gens comptent bien profiter de cette solitude loin de leurs parents rigides pour glandouiller et faire la bringue ! Mais l’arrivée d’Odette, une belle et mystérieuse jeune femme libre et sans attaches, dont bien sûr les trois puceaux tombent illico sous le charme sulfureux, va bousculer leur programme de fêtards… Car celle-ci, en compagnie de son oncle Marius et du jeune Edmond, profite de l’absence de leurs propriétaires pour cambrioler leurs riches demeures de bourgeois… Francis et Edouard, photographiés à leur insu en position scabreuse, n’auront d’autre choix que de collaborer avec leur « société anonyme de délestage du superflu », pour éviter le beau scandale que provoquerait la divulgation de ces clichés compromettants… Quant à Albert, fou amoureux d’Odette, il décide de renier sa classe sociale et son mode de vie pour vivre sa vie avec elle… Le vent de liberté de Mai 68 souffle avant l’heure avec ce jubilatoire polar social et politique au ton résolument libertaire ! Dialogues savoureux, dessin fluide colorisé dans des tons pastels qui retracent à la perfection l’ambiance des années 60… Rien ne cloche dans ce récit aussi engagé que malicieux dont Rabaté a le secret ! Un grand cru !!!

Sous les galets la plage par Pascal Rabaté, Rue de Sèvres, 2021 / 25€

Années 50. Issu d’un milieu rural modeste, Louis est « monté » à Bruxelles pour faire des études de droit. Honteux de ses origines, il ne rêve que de s’enrichir pour intégrer la bourgeoisie locale, mais l’ascenseur social, dont il espère grimper au plus vite les échelons, est plutôt poussif… Et en attendant, Louis est endetté jusqu’au cou. Sa rencontre avec une jeune prostituée et avec un proxénète lettré et manipulateur va lui offrir une porte d’entrée dans ce milieu si convoité, mais pas de la manière qu’il appelait de ses vœux : en se prostituant avec de vieilles bourgeoises friquées, Louis se fera de l’argent facile, mais il perdra son âme… Cette glaçante chronique sociale qui met en scène un jeune homme prêt à tout pour assouvir son ambition, est particulièrement troublante et dérangeante. En faisant le choix d’une voix off pour narration, Vincent Zabus renforce le malaise créé par le délire paranoïaque de son personnage et nous offre une figure de style inhabituelle dans l’univers de la bande dessinée. Quant aux illustrations « vintage » de Thomas Campi, habillées de couleurs chaudes et acidulées, elles tranchent avec la noirceur du propos tout en épousant singulièrement l’atmosphère étrange et pesante de ce récit puissant et sombre à souhait. D’une rare originalité, « Autopsie d’un imposteur » possède tous les attraits d’une beauté vénéneuse !

Autopsie d’un imposteur par Vincent Zabus et Thomas Campi, Delcourt, 2021 / 18,95€

Après « Derrick » (chroniqué ici !), « Maurice » (chroniqué !) et « Ahmed » (chroniqué ici !), nettoyeurs de scènes de crimes et pilleurs des richesses détenues par les cadavres pour le compte de malfrats en col blanc, c’est au tour d’Albert d’être ausculté sur toutes les coutures par les talentueux Gaet’s et Monier. Un Albert à l’allure chétive et aux traits enfantins qui, sous ses allures de benêt à qui l’on donnerait le bon dieu sans confession, cache l’âme d’un redoutable psychopathe… Bon, il a des circonstances atténuantes, Albert, on ne peut pas le nier ! Un père qui se suicide à sa naissance, une mère plus câline avec ses poupées qu’avec son petit garçon, un dramatique accident de voiture qui coûta la vie à sa môman et dont il sortira vivant après plusieurs années de coma… On peut dire que la mort, c’est son fonds de commerce à Albert et qu’elle l’attire plus qu’elle ne l’effraie ! A tel point qu’il tombe fou amoureux d’une jeune junkie gothique, définitivement passée de vie à trépas… Obsédé par la belle tragiquement disparue, Albert achètera aux enchères ses objets personnels (photos, journaux intimes…) et n’aura plus qu’un but : venger son amoureuse d’outre-tombe de tous ceux qui lui ont fait du mal, et trouver une autre fille pour la modeler à son image… Ce dernier opus est certainement encore plus abouti que les précédents : le scénario est tordu à souhait, les flashbacks sur les évènements passés éclairent le présent en affinant la personnalité de chaque personnage, le dessin, qui s’affirme d’album en album, est tout simplement parfait, et l’ambiance délétère qui y règne est toujours aussi glauque et sombre pour vous refiler des cauchemars ! Il nous faudra désormais piaffer d’impatience jusqu’à l’automne prochain pour découvrir la suite de cette série aussi atypique que convaincante qui se terminera en 2023 avec la parution du sixième et dernier opus… Un must dans le genre horrifique !

RIP : prière de rendre l’âme sœur (Albert : tome 4) par Gaet’s et Julien Monier, Petit à Petit, 2021 / 16,90€

Une forêt glaciale et inhospitalière, la silhouette de loups affamés qui se détache sur la neige immaculée. Un homme armé, aux aguets : son expression farouche où se lit un implacable désir de vengeance augure de terribles violences, même si on ne sait pas encore qui est l’objet de sa haine et la raison qui la motive… Sans un mot, le décor est planté. Car Thierry Martin réussit l’exploit de nous immerger dans cette quête obsédante par la seule force de son graphisme, sans le moindre dialogue. Les expressions de ses personnages, leurs regards hallucinés, les scènes d’une extrême violence qu’il met en mouvement avec flamboyance, la nature présentée elle aussi comme un personnage menaçant : tout est réalisé à la perfection, dans une totale maîtrise de son sujet, en plans cinématographiques d’une rare puissance suggestive et en d’époustouflantes illustrations pleine page réalisées dans des couleurs aussi froides que l’atmosphère de son récit. Thierry Martin nous dévoile aujourd’hui le western magistralement improvisé qu’il avait dans un premier temps mis en ligne, planche après planche, et jour après jour, sur Instagram, entre Août 2018 et Mars 2019. Un défi qu’il avait relevé haut la main et que nous pouvons désormais savourer grâce aux éditions Soleil, dans un format à l’italienne qui renforce sa puissance visuelle ! Une BD audacieuse et intense, que l’on « visionne » comme on regarderait un bon vieux western, genre équipée sauvage à la Tarantino !

Dernier souffle par Thierry Martin, Soleil, 2021 / 26€

Christine Le Garrec